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R. Besson et E. Dujardin : la ville du "care" et la ville du "faire"

Raphaël Besson est chercheur, expert en socio-économie urbaine, il dirige le bureau d'études "Villes et Innovations". Ses recherches portent sur les mutations de l'économie et de la fabrique des villes (économie créative et collaborative, urban labs, urbanisme tactique et temporaire...). Emmanuel Dujardin est architecte ; il dirige le cabinet Tangram basé à Marseille. Lors de la 4ème "conversation des futurs", ils ont discuté de l'évolution des espaces (publics) urbains et de la nécessité d'en prendre soin.



1. Prendre soin des espaces urbains pour donner envie de venir (vivre) en ville (E. Dujardin)


Vivre en centre-ville, c'est l'endroit de tous les possibles (moins de temps de déplacement = plus de temps libre, de nombreuses possibilités en centre-ville). Mais celle-ci est en difficulté: dense, sèche, imperméabilisée, parfois sale... celle-ci peut se transformer pour mieux "soigner" celles et ceux qui la pratiquent.

Prendre soin de la ville, c'est :

1. Renforcer l'intérêt d'être en centre-ville : améliorer les transports en commun, prendre soin de l'espace public, créer de l'ombre, mettre des bancs, retirer les obstacles à la circulation, offrir des logements décents...

2. Remettre de la nature en ville : ce n'est pas seulement avec des arbres d'alignement que l'on y parviendra ! La nature peut revenir en centre-ville en quelques années (exemple d'une ville-forêt à Tchernobyl, où les grands arbres sont revenus dans la ville), il est possible d'accélérer le mouvement.

3. Désencombrer nos centres : les voitures prennent trop d'espace (besoin de mutualiser ces équipements, rationaliser leur usage), diminuer les obstacles (caméras, potelets, coffrets...). D'un autre côté, "oser réprimer" certains comportements permettrait de retirer certains de ces obstacles urbains.

4. Pratiquer le centre-ville, plutôt que les centres commerciaux (même s'ils ont l'air plus pratiques, propres...) Certains centres commerciaux créent même un "esprit village"... ce qui montre que c'est une ambiance qui plait ! Alors autant investir les villages d'origine plutôt que leur copie... et pour cela il faut laisser le temps aux commerces de s'adapter aux évolutions en cours des modes de consommation. Nos choix individuels (le fait d'aller se déplacer dans un centre plutôt qu'acheter en ligne) ont des impacts globaux, notamment sur le commerce. L'évolution des rez-de-chaussée commerciaux doit avoir lieu en lien avec d'autres problématiques (par ex : les bureaux ont-il leur place dans les étages ?)

5. Accepter l'autre, partager son espace, se respecter : co-working, co-living... ont le vent en poupe.




2. Quand les citoyens "font la ville" : l'exemple des laboratoires citoyens à Madrid (R. Besson)


Raphael Besson a observé des collectifs d'habitants à Madrid, s'étant posés des questions très concrètes : comment mieux se loger, se nourrir, lutter contre la pollution ? Face à la complexité des solutions, se heurtant parfois aux limites du système démocratique délibératif, certains citoyens ont voulu expérimenter des micro-solutions, faire de la politique "en bas de chez eux". Par effet d'accumulation, transforment-elles les régimes dominants de production urbaine ?


Partant de l'exemple de Madrid, ville touchée par la crise de 2008 où les grands projets urbains se sont arrêtés : espaces et bâtiments publics deviennent vacants. À la suite d'une expérience à la Porta Del Sol (occupation temporaire pendant 1 mois), des collectifs d'habitants se sont organisés partout ailleurs dans la ville. Ne faisant pas "contre" l'institution, ils cherchent à répondre à une limite de l'action publique, qui ne parvient pas à trouver de réponse pour ces espaces. S'agissant à l'origine de 4 ou 5 laboratoires citoyens centraux et emblématiques (La Tabacalera, Campo de la Cebada, Está es una Plaza... ), le mouvement a ensuite essaimé dans les proches périphéries madrilènes : une trentaine d'initiatives ont cours aujourd'hui, sans aucune planification initiale.



Ces collectifs puisent leurs fondements théoriques dans :

• le "droit à la ville" (Henri Lefebvre) mais veulent directement agir sur les infrastructures urbaines (infrastructures routières, places, délaissés...).

• l'urbanisme "open source", donnant les codes (les clés de compréhension) de ce qu'ils proposent à tous, à rebours de la Smart City (algorithme imposé à des testeurs), reprenant un lexique de la culture numérique.


Quelques points pour comprendre les spécificités de ces laboratoires citoyens :


1. Le lieu d'implantation : les bâtiments ou les espaces publics vacants (avec convention de gestion temporaire), comme Autobarrios San Cristóbal sous un pont routier, Campo de la Cebada (projet de centre commercial avorté) et La Tabacalera (ancienne fabrique de tabac prédestinée à devenir musée... désormais lieu d'art collaboratif)


2. Un portage par des "tiers-acteurs" : difficile à définir (collectifs d'architectes, de chercheurs, d'artistes, de commerçants...), ils jouent un rôle :

• d'intermédiaire entre la maîtrise d'ouvrage (la municipalité), la maîtrise d'oeuvre (ceux qui réalisent les travaux publics) et la maîtrise d'usage (les habitants) : ils naviguent entre ces 3 savoirs-faire ;

• de régulation des conflits qui peuvent s'exprimer autour de ces espaces ;

• d'expérimentation : ils prennent un risque et assument un "droit à l'erreur".


3. La production de "guides pratiques" (et non pas des "écrits théoriques"), kits méthodologiques pour fabriquer cette ville collaborative et son mobilier urbain, faciliter la mise en oeuvre juridique au moyen de conventions de gestion ou d'animation temporaire, favoriser la participation citoyenne pour que chacun puisse porter et défendre ses projets, évaluer les réalisations...


Comment passer d'une approche "Maker" (avancer à petits pas, prototyper, évaluer, se tromper et recommencer...) à des transformations urbaines plus pérennes (susceptibles d'essaimer) ?


Ces initiatives citoyennes produisant des bénéfices très concrets (lien social, accès à l'éducation, au sport ou à la culture, systèmes d'échanges locaux, requalification d'espaces publics dégradés...), les pouvoirs publics madrilènes sont passés d'une approche "laisser faire" (en signant des conventions de gestion) à un intérêt plus marqué. L'administration municipale s'est progressivement rapprochée de ces tiers-acteurs (notamment le Media Lab Prado), afin de s'acculturer à ces nouveaux modes de faire, à ces modèles économiques (fonctionnant souvent par crowdfunding et réponse à des appels à projets européens).


L'ingénierie acquise par les agents de la ville de Madrid est un acquis durable, même si une disjonction perdure entre de nouvelles manières de conduire des démarches participatives (sur lesquelles l'administration a progressé au contact des collectifs), et la persistance de démarches de planification "classiques", plus descendantes. Mais la mécanique enclenchée est néanmoins structurelle : ces laboratoires citoyens survivront probablement à une alternance politique.




3. Ce qui préoccupe les jeunes : 4 questions venues du Conseil Municipal des Adolescents d'Aix


Cette deuxième séquence s'est conclue par l'intervention de jeunes adolescentes ; leur génération étant celle qui pratiquera et "fera" la ville du futur. Comprendre leurs préoccupations est utile dans tout travail de prospective. C'est pourquoi nous avions proposé à Angela Quattocchi et Sira Diarra (élue du Conseil Municipal des Adolescents) de préparer 4 questions sur les sujets qui les concernent le plus, s'agissant de l'avenir de nos villes. Elles ont souhaité interpeller les experts sur :


• La place et l'implication des jeunes dans les projets urbains : comment connaître leurs besoins et les intégrer ? Raphael Besson leur a répondu à partir d'un cas madrilène, où un projet de renouvellement urbain a débuté par une "fête", occasion de saisir les besoins et les attentes des plus jeunes.


• La pollution de l'air dans les villes : comment la faire diminuer ? En revenant sur la figure de Greta Thunberg, Bruno Marzloff et Emmanuel Dujardin ont montré comment leur génération (celles et ceux qui ont 15 ou 18 ans aujourd'hui) va avoir un rôle d'interpellation de l'ensemble de la société. Les "adultes" ont beaucoup à apprendre d'eux, les solutions sont multiples et il faut passer à la vitesse supérieure.


La nécessité de loger tout le monde en ville, y compris celles et ceux qui n'ont pas de domicile : comment loger les SDF ? S'il s'agit fondamentalement d'une question politique (Bruno Marzloff est revenu sur la décision de réindexer les prix de certains logements, prise récemment à Berlin), Emmanuel Dujardin a abordé certains aspects techniques, liés aux mécanismes actuels de production des logements, soumis à une logique de marché et de bénéfices : c'est l'ensemble de la chaîne de production de logements qu'il faut changer, depuis le prix d'achat du terrain jusqu'à la production finale.


La végétalisation des villes : comment mettre plus de verdure en ville ? Il y a la verdure que l'on peut mettre dans l'espace public (et qui renvoie à une décision politique), mais chacun peut prendre sa part dans la végétalisation.


La facilitation graphique de Nicolas Gros :


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